Histoires de nos vies

Les Archives gaies du Québec sont heureuses de vous inviter en ligne pour voir la merveilleuse exposition HISTOIRES DE NOS VIES, qui témoigne de la vie des lesbiennes et des gais au Québec du dix-septième siècle à nos jours. Les 17 tableaux ont déjà été montrés lors d’expositions à Montréal, à Laval et à Québec. Chacun des tableaux de l’exposition regroupe des documents qui illustrent un incident historique ou une thématique de notre expérience collective. Procès pour sodomie en Nouvelle-France, scandale homosexuel en 1892 à Saint-Jean-sur-Richelieu, fondation d’un club littéraire gai et lesbien en 1917, mariage entre femmes en 1942 (!), manifestations suite aux descentes policières des années 1970-1980 : voilà quelques-unes des histoires qui vous seront racontées. Cliquez sur chacun d’eux pour voir en détail les contenus. Ils sont en format PDF.

Tableau 1
Un tambour et trois soldats, 1648 et 1691

À peine six ans après la fondation de Ville-Marie, un jeune soldat est accusé du «pire des crimes.» Les Jésuites interviennent en sa faveur auprès des Sulpiciens, seigneurs de Montréal. Sa sentence, qui devait l'expédier aux galères, est commuée à condition qu'il devienne le premier bourreau de la Nouvelle-France.

Montréal est fondé par des dévots catholiques animés d'un zèle missionnaire inspiré d'un mouvement de ferveur religieuse qui déferlait dans la France de la Contre-réforme au dix-septième siècle. En 1648, à peine six ans après la fondation de Ville-Marie, un jeune soldat est accusé du «pire des crimes.» Les Jésuites interviennent en sa faveur auprès des Sulpiciens, seigneurs de Montréal. Sa sentence, qui devait l'expédier aux galères, est commuée à condition qu'il devienne le premier bourreau de la Nouvelle-France.

Bien qu'il n'y ait pas d'identification plus précise du crime du petit tambour, nous présumons qu'il s'agit de sodomie ou d'autres actes «contre-nature.» Depuis Saint Thomas d'Aquin, l'enseignement de l'Église considère la sodomie comme le pire péché car le plus contraire à la nature et donc à la raison. Le partenaire du tambour n'est pas identifié dans ce petit texte, ni le type de sodomie qu'il aurait pu commettre. Mais comme les cas de bestialité sont normalement spécifiés et que d'autres genres d'accusations auraient été portées s'il avait péché avec une femme, nous pensons qu'il s'agit bien d'un cas d'homosexualité.

Dans ses directives aux confesseurs publiées en NouvelleFrance, la plus haute instance ecclésiastique, l'évêque de Québec, spécifie que la sodomie est un péché qui ne peut être pardonné que par l'évêque. Puisqu'il n'y avait qu'un évêque en NouvelleFrance, il se peut que les Jésuites aient cherché à transférer l'accusé dans la capitale administrative et religieuse pour des raisons d'ordre spirituelles. Mais leur intervention peut aussi s'expliquer en termes de vieilles rivalités entre ordres religieux, les Jésuites s'opposant ici aux excès de piété du mouvement janséniste qui se manifestent par la répression théocratique des Sulpiciens de Montréal. Ils auraient pu également être motivés par une évaluation différente de la gravité du crime, la chanson populaire française de l'époque associant fréquemment Jésuites et sodomites.

En 1691, deux soldats et un lieutenant d'une Compagnie du détachement de la Marine sont accusés du crime de sodomie. Ils sont écroués dans la prison du baillage de Montréal et l'instruction de leur procès commence. On entreprend l'interrogatoire des témoins et des accusés, mais le lieutenant Nicolas Daussy de StMichel refuse obstinément de répondre aux questions malgré les menaces du procureur. Daussy ne reconnaît pas l'autorité du bailli et demande à être jugé par le Conseil Souverain alors même que les deux soldats, Forgeron dit La Rose et Filion dit Dubois, ont déjà confessé. Le gouverneur du roi à Montréal, le Chevalier de Callière, lui donne bientôt raison et renvoie la cause ainsi que les accusés à Québec.

Le Conseil Souverain ordonne que soient repris tous les interrogatoires, confrontations et récolements; il se référera au procès de Montréal comme ayant été «extraordinairement encommencé» donc invalide. On peut déduire d'après les délibérations du Conseil que le crime a probablement eu lieu en public, peut-être dans une des nombreuses tavernes de la ville, puisque pas moins de huit témoins sont cités. La Rose est condamné à deux ans de prison et Dubois à trois, alors que Daussy, reconnu comme l'incitateur des infamies, est banni de la colonie et doit payer deux cents livres aux pauvres ainsi que tous les frais. Si l'on considère que le châtiment prescrit était la mort par le feu, les peines encourues sont relativement très légères.

Mais ce qui est le plus surprenant dans toute cette affaire, c'est l'aplomb avec lequel Daussy se refuse d'abord à tout aveu et toute collaboration. Peut-être a-t-il quelques notions de droit et sait donc que son crime est un cas Royal ne pouvant pas être jugé à Montréal; cela indiquerait qu'il a conscience de son statut légal en tant que sodomite. Peut-être aussi a-t-il servi en France sous l'un des nombreux maréchaux homosexuels. L'amour entre hommes dans l'armée et la marine n'est alors que peccadille et l'on condamne même des sodomites au service militaire. Condé, Gramont, Vendôme, Villars ne sont que quelques uns des grands capitaines qui affichent avec impudence leurs goûts en cette seconde moitié du XVIIe siècle. Leurs soldats s'en moquent et les chansonnent mais souvent partagent leurs plaisirs. Daussy, en voulant «débaucher plusieurs hommes», ne fait qu'imiter ces héros. Gageons qu'en brave soldat son exil ne l'empêchera pas de reprendre la charge.




Tableau 2
Jonathas et David ou le triomphe de l'amitié, 1776

L'auteur, l'érudit jésuite Pierre Brumoy, se croit même obligé en son prologue de nous avertir qu'il s'agit ici de «L'Amitié tendre, Amitié sainte» et non de celle qui «réside dans les coeurs au crime soumis»; mais les soins qu'il prend ont plutôt pour effet d'éveiller nos soupçons..

« Goûte à ton gré les fruits d'une tendre amitié », Acte I, scène 1.

En 1776, Fleury Mesplet, ami de Benjamin Franklin et, comme lui, imprimeur et admirateur des Philosophes, fait paraître Jonathas et David ou Le Triomphe de l'amitié, tragédie en trois actes. C'est peut-être le premier ou sinon le second livre imprimé à Montréal. Le sujet, un des plus populaires du théâtre de collège puisqu'il n'y a aucun rôle féminin, est tiré de la Bible. C'est l'histoire de l'amour «plus grand que l'amour des femmes» et des malheurs de Jonathas, fils du roi Saül et héritier du trône d'Israël, et du berger David, vainqueur de Goliath. La publication en est commandée par les Sulpiciens qui font jouer la pièce par leurs élèves du Collège de Montréal, probablement au mois d'août, lors de la distribution des prix.

Le lecteur moderne a peine à croire que ce texte, qui peint tantôt avec charme et tantôt avec fougue une passion homoérotique, ait pu être interprété en toute innocence à la fois par les acteurs et par le public. Sans oublier que le langage de l'amitié la plus chaste peut, à cette époque, ressembler au langage de l'amour, certains vers ont certainement dû émouvoir les jeunes comédiens et troubler leurs parents. L'auteur, l'érudit jésuite Pierre Brumoy, se croit même obligé en son prologue de nous avertir qu'il s'agit ici de «L'Amitié tendre, Amitié sainte» et non de celle qui «réside dans les coeurs au crime soumis»; mais les soins qu'il prend ont plutôt pour effet d'éveiller nos soupçons que de nous convaincre qu'une amitié si ardente puisse être tout à fait pure. Les tirades amoureuses des protagonistes (dont les noms sont gravés sur un arbre!), les risques qu'ils prennent pour se rencontrer, les sacrifices qu'ils font l'un pour l'autre ont pu paraître des actions édifiantes pour certains, mais très suspectes pour d'autres. D'ailleurs, le XVIIIe siècle abonde en ouvrages qui, d'une part, dénoncent les effets corrupteurs du théâtre sur la jeunesse ou, d'autre part, font la louange de ces exercices amusants qui donnent aux jeunes de l'aplomb et l'habitude de parler en public.

Aucune trace ne subsiste qui puisse indiquer que la représentation de Jonathas et David suscite quelque controverse ou condamnation. Pourtant les pouvoirs religieux se sont déjà maintes fois montrés hostiles au théâtre et il n'est pas surprenant que cette tragédie soit la seule qu'imprime Mesplet. On ignore aussi si d'autres pièces morales, comme Le jeune homme à l'épreuve, Herménégilde martyr et Le jeune voluptueux seront jouées par la suite au Collège de Montréal.




Tableau 3
Les apprentis, 1839

Carte de la ville en 1825. On distingue clairement la rue St-Joseph, aujourd’hui rue St-Sulpice, ou les apprentis furent surpris en flagrant délit.

À la suite de la Guerre de sept ans, la Nouvelle-France passe sous juridiction britannique en 1763. L'Acte de Québec de 1774 assure le maintien de la loi civile française, de l'église catholique et du régime seigneurial, mais le droit pénal est quant à lui fondé sur le droit coutumier anglais. En ce qui concerne les relations sexuelles entre hommes, ce changement n'avait que peu d'impact. Le vice « abominable de bougrerie » ou la sodomie reçoit depuis le dix-septième siècle une définition restrictive fondée sur le coït anal entre hommes. Bien qu'un sodomite soit passible de la peine de mort, l'application de la loi varie selon l'époque et l'endroit.

La transition d'une société agricole à une économie manufacturière urbaine en Europe comme en Amérique du nord accroît l'indépendance des jeunes travailleurs à l'égard du contrôle familial. Ceci facilite l'émergence d'une nouvelle sous-culture homosexuelle dans des villes comme Amsterdam, Londres et Paris. Il y a peu d’indices du même phénomène en Amérique pour cette époque, mais nous avons cependant quelques informations sur un cas de relations sexuelles entre deux jeunes hommes.

À Montréal, comme ailleurs, le système des apprentis a créé des maisonnées dans lesquelles les travailleurs de tous âges vivent en commun. En 1839, Thomas Clotworthy, 17 ans et Henry Cole, 11 ans, apprentis du doreur montréalais William Lawley sont pris en flagrant délit de sodomie par Ève Vanderboget, la femme du maître. C'est le seul cas connu en Amérique d'une poursuite pour sodomie qui résulte du partage d’un lit dans ce genre de maisonnée. Hormis le témoignage ici présenté nous n'avons aucune information additionnelle sur les accusés ni leurs familles. Nous savons simplement que Lawley fait affaires au 29, rue St-Joseph (actuellement la rue St-Sulpice, près de la Place d'Armes), où il fabrique des enseignes, des cadres et des miroirs. Le sort des deux jeunes apprentis n'est pas connu.




Tableau 4
L'association nocturne, 1886

Hier soir, Clovis Villeneuve, un dude, affilié de cette association nocture, s'est approché d'un citoyen assis à cette heure sur les degrés du Champ-de-Mars, a engagé la causette d'une voix mielleuse et... s'est fait empoigner par Lafontaine, constable.

Vers la fin du dix-neuvième siècle, Montréal comptait un certain nombre d'endroits connus comme lieux de rencontre pour homosexuels. Une nouvelle dans La Presse décrit en détail un de ces sites, le Champ-de-Mars situé derrière l'Hôtel de ville et le Palais de justice. Bien qu'aujourd'hui cet endroit soit peu fréquenté, au dix-neuvième siècle c'était un endroit à la mode pour la promenade du soir, ainsi qu'un terrain d'exercice militaire où avaient lieu des célébrations publiques. Cette description de la drague entre hommes parmi les peupliers qui le longeaient fournit notre premier indice de l'existence d'un milieu social homosexuel dans la ville. Il est important de noter que cet article relate l'arrestation de Clovis Villeneuve, pris au piège par un policier agent provocateur.

L'emploi du mot curieux « dude »(dandy) dans un journal francophone témoigne de la diffusion rapide de ce néologisme qui semble avoir été créé à New York vers 1883, possiblement à partir du mot « subdued » (soumis). Il a été rapidement adopté dans l'usage américain pour désigner un jeune homme dont le costume, la façon de parler et la conduite était d'une délicatesse trop recherchée. La page couverture de la revue humoristique new-yorkaise de 1883 illustre bien cette conception des « dudes » comme des dandys efféminés.




Tableau 5
De l'île Sainte-Hélène à Saint-Jean, 1891-1892

Les gravures de l’époque montrent les gens qui s'y promènent, pique-niquent, jouent au croquet et discutent avec les soldats de la caserne. Mais ici comme dans les hangars et sur les bateaux du port, on trouve d'autres formes de divertissement.

Le parc de l’Île Ste-Hélène est créé au cours des années 1870 à côté du fort et d’un club privé de natation. Pendant la belle saison, un bac le dessert pour dix sous à partir d’un endroit près du quai Victoria. Les gravures de l’époque montrent les gens qui s'y promènent, pique-niquent, jouent au croquet et discutent avec les soldats de la caserne. Mais ici comme dans les hangars et sur les bateaux du port, on trouve d'autres formes de divertissement... À l’été 1891, deux hommes, William Cooney, 30 ans, et William Robinson, 19 ans, sont surpris en flagrant délit de grossière indécence par le policier Ovide Tessier. Ils sont condamnés, l’un à six mois et l'autre à neuf mois de travaux forcés et sont soumis au fouet à intervalles réguliers pendant la durée de leur peine.

Mais ce n’est pas que dans les grandes villes comme Montréal que les homosexuels trouvent des lieux de rencontres, que ce soit des cafés, des bars ou des parcs publics. En 1892, un terrible scandale éclate dans la petite ville de Saint-Jean (aujourd’hui Saint-Jean-sur-Richelieu). Un curé du lieu fulmine en chaire contre un groupe curieusement nommé « Le club des manches de ligne », dont la vingtaine de membres auraient des pratiques « contrenature ». Suite à cette dénonciation, le maire de la ville fait appel à une agence de détectives pour piéger les coupables. Quatre d’entre eux sont accusés « d’assaut indécent » et arrêtés, même si l’on doit rattraper à Montréal l’un d’eux, un avocat qui avait tenté de s’échapper en sautant dans le train du matin. À son retour le soir même, environ trois cent de ses concitoyens l’attendent à la gare pour le lyncher, mais heureusement les policiers qui l’accompagnent le protègent. Après leur remise en liberté moyennant de fortes cautions, les quatre compagnons s’enfuient, probablement avec la complicité des autorités qui ne s’attendaient pas à ce que le scandale franchisse les frontières pour se retrouver en première page du New York Times.




Tableau 6
Le club du docteur Geoffrion 1908

Ce médecin de quarante ans qui pratique dans ce qu’on appelle alors « la partie est » de la ville, plus précisément au 1219 Ste-Catherine Est entre les rues Parthenais et Fullum, accueille chez lui bon nombre de « jeunes gens » peu fortunés.

L’étendue de la sous-culture homosexuelle au Québec au début du vingtième siècle nous est révélée par la couverture de presse et par le volumineux dossier criminel concernant le docteur Ulric Geoffrion et ses amis. Ce médecin de quarante ans qui pratique dans ce qu’on appelle alors « la partie est » de la ville, plus précisément au 1219 Ste-Catherine Est entre les rues Parthenais et Fullum, accueille chez lui bon nombre de « jeunes gens » peu fortunés (et prêts à monnayer leurs services) ainsi que des messieurs plus ou moins bien établis. Dans ce lieu de rendez-vous, un « club où on s’amusait les hommes avec les hommes » règne une atmosphère de liberté inouïe. On s’informe candidement de la vigueur sexuelle du moment, comme en fait foi cette conversation rapportée par la police : « …quelqu’un a demandé au docteur s’il en avait une belle ce soir. Le docteur a commencé à se tâter et il a dit : "non, pas ce soir" quelqu’un de ceux qui étaient là a dit : "Hier soir vous en aviez une de cette grosseur là (le témoin montre son bras) et c’est tout ce qu’on a pu faire pour la prendre dans notre bouche." » On passe aussi de la parole aux actes, puisqu’une pièce fermée par un rideau où il y a un lit permet aux habitués de s’y « sucer » et de s’y « crosser » mutuellement; on dit de ceux qui s’y trouvent qu’ils sont « en fonction ». Il existe même des rites d’initiation, puisqu’on insiste pour que le docteur fasse « la cérémonie » aux nouveaux venus.

Plus fascinant encore que la liberté de parole et d’action est la solidarité des membres de ce club. Car derrière leur humour « folle » qui les poussent à s’appeler entre eux « soeur » ou « ma soeur » se cache un véritable sentiment de fraternité (ou de « sorellité ») qui s’étend jusqu’aux « soeurs » venues d’ailleurs.

C’est d’ailleurs le devoir d’entraide à l’égard d’une prétendue « soeur » de la ville de Québec qui cause la perte du docteur Geoffrion. « Soeur Trudeau » à qui un membre du club promet de trouver un emploi au Canadien Pacifique s’avèrera être le constable Arthur Gagnon. Son témoignage sera damnant tout autant que celui d’un jeune prostitué de seize ans, Albert Bonin. La police a suivi ce dernier jusque chez lui pour « avertir » son père. Son premier mouvement sera de « déserter » le foyer familial pour alerter le docteur Geoffrion, mais, soit qu’il ait été intimidé par la police ou soumis par l’autorité paternelle, il passe bientôt à table. Mal lui en prit car il sera condamné à trois ans de travaux forcés dans une école de réforme.

Les autres prévenus s’en tirent avec des amendes de 50$ à 500$ et des engagements à garder la paix, mais pour le docteur Geoffrion, que le juge perçoit comme un corrupteur de la jeunesse et « un malade incurable… plus dangereux qu’un pestiféré », la justice sera implacable : 15 ans de réclusion au pénitencier de StVincent-de-Paul.

Tous ces homosexuels sont victimes d’une action concertée des autorités, qui déjà affecte des « agents spéciaux » à la surveillance et la destruction des « clubs ». Il n’est pas surprenant de trouver à la tête de cette police le chef inspecteur Carpenter, qui seize ans plus tôt en 1892, avait dirigé le démantèlement du « club des manches de ligne » de St-Jean-sur-Richelieu.




Tableau 7
Les mouches fantastiques, 1917

Vers la fin de l'automne 1917, parmi les reportages de guerre, le Montreal Daily Star publie une lettre demandant s'il existe un groupe de discussion pour jeunes écrivains. Quelques semaines plus tard, une réponse signée Elsie Gidlow annonce la mise sur pied d'un tel groupe et invite les gens à adhérer.

Vers la fin de l'automne 1917, parmi les reportages de guerre, le Montreal Daily Star publie une lettre demandant s'il existe un groupe de discussion pour jeunes écrivains. Quelques semaines plus tard, une réponse signée Elsie Gidlow annonce la mise sur pied d'un tel groupe et invite les gens à adhérer. En fait ces deux lettres sont écrites par Gidlow, une jeune femme de dix-neuf ans qui veut se lier à des esprits libres. Elle invite les douze correspondants à se réunir chez ses parents, rue Delorimier. Le groupe compte quelques écrivaines, un peintre et aussi des importuns qui ne seront pas invités par la suite. Il y a aussi un jeune homme efféminé, Roswell George Mills, qui tient la chronique du coeur au Star sous le pseudonyme de Margaret Currie et qui devient le meilleur ami et le mentor de Gidlow. Les deux amis vont aux concerts, critiquent leurs textes et rêvent ensemble. Ils lisent les ouvrages du sexologue Havelock Ellis et du champion des droits des femmes et pionnier de l'émancipation homosexuelle Edward Carpenter.

Une autre membre du groupe, Marguerite Desmarais, une femme mariée et plus âgée, devient la première amante d'Elsie. D'autres écrivains et des musiciens, dont des francophones, en font également partie. Ils publient une petite revue, d'abord sous le titre Coals from Hades, qui deviendra plus tard Les Mouches fantastiques, d'après le nom qu'ils donnent au groupe. En même temps Gidlow commence à publier des textes comme les deux poèmes que l'on voit ici, parus dans le Canadian Bookman et dans Poetry: A Magazine of Verse. C'est le début de sa carrière d'écrivaine professionnelle. Après la fin de sa deuxième relation lesbienne avec une femme qui s'appelle Estelle, Elsie et son ami Roswell décident de partir pour New York, où ils s'installent à Greenwich Village. Changeant son prénom pour celui d'Elsa, elle déménage ensuite en Californie en 1926. Elle y restera jusqu'à sa mort en 1988. Elle publiera en tout quinze ouvrages dont une merveilleuse autobiographie et deviendra l'égérie des écrivaines lesbiennes des nouvelles générations.




Tableau 8
Les femmes et la guerre, 1942

Et pourtant les femmes gagnaient la moitié du salaire d'un homme, comme nous l'apprend l'histoire de cette femme « travailleur » dans une usine d'armements qui avait osé se marier avec une autre femme afin d'être éligible à une hausse de salaire.

Lors de la seconde guerre mondiale, les femmes, qui avaient été exclues du marché du travail tout au cours de la Crise des années 1930, sont engagées en très grand nombre pour remplacer les hommes enrôlés. Les emplois qu'elles comblent sont souvent dans des secteurs industriels où elles n'ont jamais eu accès auparavant. Les conséquences sociales de ces changements sont, chez elles, une prise de conscience de leur propre valeur et, dans la société en général, un changement radical du rôle de la femme. Et pourtant les femmes gagnaient la moitié du salaire d'un homme, comme nous l'apprend l'histoire de cette femme « travailleur » dans une usine d'armements qui avait osé se marier avec une autre femme afin d'être éligible à une hausse de salaire. Antoinette Arsenault paye très cher pour avoir outrepassé les limites du rôle féminin. Elle écope de vingt-trois mois de prison pour falsification de documents.

Les articles de l'époque ne mentionnent en aucun cas le lesbianisme. Ils spécifient néanmoins qu'Antoinette/André passait pour un « tomboy » et jouait toujours avec les garçons de son village natal près de Trois-Rivières. Les gens interviewés par Line Chamberland considèrent aujourd'hui cette histoire sous l'angle du lesbianisme. À l'époque, on ne s'imaginait pas qu'elle pouvait être une femme parce qu'elle fumait des cigarettes, et, comme un homme, s'était fait mettre à la porte d'une taverne pour avoir trop bu. Elle a si bien imité les allures d'un jeune homme que les autorités lui ont fait subir trois fois l'examen médical avant de croire que c'était bien une femme.

Le travestissement a longtemps été une des seules échappatoires pour certaines femmes qui refusent d'être confinées par les préjugés, mais ce sont toujours des cas particuliers. Tout à coup, des revues à grand tirage présentent en page titre des illustrations de femmes soudeurs coiffées à la garçonne et portant salopettes. Après la guerre, on s'efforce de détruire la nouvelle image de la femme afin de faciliter la reprise des emplois par les hommes. La politique gouvernementale et la culture populaire, ainsi que le nouveau médium qu'est la télévision cherchent à re-féminiser les femmes et les cantonner à nouveau dans leurs rôles d'épouses et de ménagères. Il y a pourtant des résistantes : des femmes ayant travaillé ensemble et s'étant aimées créent une nouvelle sous-culture lesbienne à travers l'Amérique du nord.




Tableau 9
Montréal la nuit, 1920 à 1955

Des hommes gais fréquentent certains bars de la « Main » ainsi que ses cinémas tels le Midway et son voisin le Crystal, où des arrestations ont lieu dès 1929. Ces deux endroits resteront longtemps le théâtre d'activités sexuelles entre hommes et de harcèlement policier. Au Midway, dix-sept hommes sont arrêtés entre mai et septembre 1955.

En 1936, le chroniqueur de voyage Austin F. Cross écrit ce qui suit sur Montréal: « C'est une ville survoltée avec plus d'action sur sa rue principale à quatre heures du matin que la plupart des villes américaines en ont à quatre heures de l'après-midi. On y fait la noce en permanence. » La rue principale, c'est, bien sûr, le boulevard St-Laurent, frontière séparant l'est de l'ouest, les quartiers francophones des neighborhoods anglophones. Quant aux noceurs, ils sont attirés par la réputation de « ville ouverte » qu'avait acquise Montréal après la première guerre mondiale. L'image conventionnelle d'une ville dominée par les deux solitudes, d'une part par des catholiques répressifs et d'autre part par d'austères presbytériens est bien loin de la réalité. Montréal est, tout au contraire, un oasis pour les gens qui, comme l'interprète de la chanson à succès « Hello Montreal », cherchent à échapper à la prohibition qui règne alors sur tous les États-Unis et sur une partie du Canada. Ici les bars servent de l'alcool et les cabarets retentissent de jazz ou présentent des spectacles burlesques. Quelques douze mille prostituées offrent leurs services et un bookmaker estime que plus de deux millions et demi de dollars sont pariés annuellement dans les maisons de jeu de la ville. Le boulevard St-Laurent est non seulement le centre géographique de la ville, c'est la « Main », mais aussi le haut-lieu du monde interlope, « l'artère sclérosée » de la ville comme l'appelle Al Palmer dans son Montreal Confidential de 1950.

Des hommes gais fréquentent certains bars de la « Main » ainsi que ses cinémas tels le Midway et son voisin le Crystal, où des arrestations ont lieu dès 1929. Ces deux endroits resteront longtemps le théâtre d'activités sexuelles entre hommes et de harcèlement policier. Au Midway, dix-sept hommes sont arrêtés entre mai et septembre 1955. Le témoignage que rend la même année le procureur Jacques Fournier devant la Commission royale sur les criminels psychopathes sexuels est un exemple frappant du mépris qu'ont les défenseurs des bonnes moeurs pour ces hommes qui ne pouvaient assouvir leurs passions sans enfreindre les lois.

Dans les années 1940 et 1950, Montréal est renommée pour sa vie nocturne à travers tout l'est de l'Amérique du nord. Le Casa Loma de la rue Ste-Catherine est l'une des plus célèbres de ces boîtes de nuit. Nous vous présentons une photo de deux clients nonidentifiés, un homme et son jeune ami, avec le carton dans lequel fut conservé cette production du photographe de la maison. Vous voyez d'autres scènes de rue du centre ville, illustrant entre autres, le club Copa Cabana. Le Café Monarch sur Ste-Catherine à l'est de St-Laurent et les clubs du centre-ville comme le Hawaiian Lounge de la rue Stanley et le Samovar de la rue Peel sont, pour les gais, les lieux privilégiés de leur vie nocturne. Le Samovar est un club à la mode où, en dépit de sa clientèle mixte, les gais professionnels se sentaient à l'aise, grâce aux talents de son maître de cérémonies Carol (Carl) Grauer, lui-même gai. Vers le début des années 1950, le Samovar devient le Downbeat Club, dont une section est appelée le Tropical Room, le bar gai le plus connu de Montréal à l'époque. Les gais fréquentaient aussi le Kontiki de l'Hôtel Mont-Royal en face. Ici, les hommes gais se rencontraient discrètement au bar, sans éveiller les soupçons des clients assis aux tables comme le couple que l'on voit sur cette carte postale. Quelques restaurants près de Peel et Ste-Catherine servaient aussi de lieux de rencontre dont le Diana Grill et plusieurs succursales de la chaîne Honey Dew. Dans une thèse sur la vie gaie montréalaise écrite à McGill en 1954, M. Leznoff décrit la drague au Honey Dew de la rue Peel, restaurant que l'on voit ici dans une des photos.




Tableau 10
Moralité et mascarade, 1950

Dans l’atmosphère de l’époque, alors que la presse ne parle d’homosexualité qu’à l’occasion de crimes sordides ou de reportages sensationnalistes dans lesquels les gais et les lesbiennes sont démonisés, il n’est pas surprenant que le futur maire ait développé, comme beaucoup de ses compatriotes, des préjugés tenaces.

Au cours des années 1940, la réputation de Montréal comme « ville ouverte » et la collusion évidente entre la police, les autorités municipales et le crime organisé ont provoqué des cris d'alarme de plus en plus insistants. Le point culminant de ces protestations est une série d'articles écrits par Pacifique Plante, ancien fonctionnaire de police, qui paraissent dans Le Devoir. Ces articles ont été réédités sous forme de livre, dont nous voyons ici la page couverture. La diligence et l'éloquence de Plante inspire la mise sur pied, en mars 1950 d'un Comité de moralité publique. Cet organisme réussit rapidement à faire créer une commission d'enquête dirigée par le juge Caron pour éclaircir les accusations de Plante.

Dans ce contexte, les dirigeants de la police trouvent utile de faire du zèle au niveau de la morale. La veille de l'assemblée fondatrice du nouveau comité, la police organise une descente monstre dans une salle louée au bar le Lion d'Or sur Ontario, près de Papineau, où se déroule une « soirée costumée » à l'occasion de la Mi-carême. Parmi les 376 personnes traduites en justice sous des accusations reliées à la vente illégale de boissons, les seuls en costume sont trente-sept hommes habillés en femmes, dont « une » qui fêtait ses fiançailles...

Lors des séances de l'enquête Caron, Plante est assisté de Jean Drapeau. Autre coïncidence intéressante, le rapport Caron condamnant la corruption de plusieurs policiers et politiciens paraît deux semaines avant les élections municipales qui porteront Drapeau au pouvoir pour la première fois. À l'exception de la période de 1957 à 1960, il restera à la mairie jusqu'en 1986. C’est sous son règne que les campagnes de « nettoyage » visant les bars gais battront leur plein et que le Mont-Royal, un lieu de drague privilégié, sera débroussaillé à un point tel qu’on l’appellera le Mont-Chauve.

Il faut se souvenir qu’en 1945, Drapeau, jeune avocat, avait défendu le « monstre de la montagne », Roland Charles Chassé, un pédophile qui avait assassiné un enfant de neuf ans sur le Mont-Royal. Dans l’atmosphère de l’époque, alors que la presse ne parle d’homosexualité qu’à l’occasion de crimes sordides ou de reportages sensationnalistes dans lesquels les gais et lesbiennes sont démonisés, il n’est pas surprenant que le futur maire ait développé, comme beaucoup de ses compatriotes, des préjugés tenaces.




Tableau 11
La culture physique, 1947 à 1970

Au début des années 1960, certains de ces photographes ont maille à partir avec les autorités qui les accusent de vendre des images obscènes. Durant toute cette période, ces revues sont vendues en kiosque partout à Montréal, malgré qu'elles puissent parfois être sujettes aux attaques de journaux à sensations.

Les premières revues de culturisme, telle que Your Physique lancée à Montréal par les frères Weider au début des années 1940, ont pour lecteurs des hommes amateurs de bonne forme physique autant que des gais à la recherche d'images de corps virils. Dans les années 1950, il devient difficile de prétendre que ces revues ne s'adressent qu'à de fervents sportifs ou à des artistes s'intéressant au nu masculin. Ces publications évoluent donc en deux catégories: une première visant clairement le marché homosexuel et une seconde les culturistes. Dans les deux cas elles constituent une vitrine qui permet la diffusion des productions d'un réseau international de photographes et de modèles associés à des gymnases en Amérique du nord, en Europe et ailleurs. À la fin des années 1950 et au début des années 1960, Montréal compte une dizaine de studios de photographes de culturisme, dont ceux de Caruso et de Lanza, associés des Weider, de John Ryan, de George Henderson et le Mark-One Studio, dirigé par le photographe Alan B. Stone. Tous ces artistes font paraître leurs photos dans des revues américaines et britanniques telles qu’Adonis, publié à Londres par les Weider, alors que Mark-One publie localement certaines revues dont Physique Illustrated, Face and Physique, Crew et Ahoy. Dans leurs pages se trouvent d'alléchantes réclames pour des séries de photos qui peuvent être commandées par la poste, souvent en s'adressant directement aux modèles.

Au début des années 1960, certains de ces photographes ont maille à partir avec les autorités qui les accusent de vendre des images obscènes. Durant toute cette période, ces revues sont vendues en kiosque partout à Montréal, malgré qu'elles puissent parfois être sujettes aux attaques de journaux à sensations, comme l'illustre l'article du magazine Zéro, lui-même assez « infâme ».




Tableau 12
Front de libération homosexuel (F.L.H.), 1970

En juin 1972, le groupe déménage dans un plus grand espace, coin Ste-Catherine et Sanguinet. Malheureusement, alors qu’ils pendent la crémaillère, la police fait une descente et quarante personnes sont conduites au poste central – on avait omis de se procurer un permis d’alcool pour l’occasion.

Dans le sillage de la contre-culture et de la mobilisation au cours des années 1960 des femmes, des noirs et des jeunes apparaît soudain le mouvement de libération gaie. Il prend forme à partir des émeutes du Stonewall Inn de New York, en juin 1969, un jour après qu’au Canada la loi Omnibus décriminalise les actes homosexuels entre deux adultes en privé. Les groupes précurseurs du mouvement homophile sont vite remplacés par des groupes plus militants qui se répandent à travers l’Amérique du nord.

À Montréal, la revue Mainmise est le fer de lance de la contreculture et c’est par son entremise qu’est publié le premier appel pour la formation d’un groupe gai. Fondé au printemps 1971, le Front de libération homosexuel (FLH) ouvre rapidement un local sur la rue St-Denis où les gais peuvent se rencontrer pour parler, participer à des discussions et écrire leurs commentaires dans le « livre de bord » (dont une page est ici présentée). Au cours de l’année qui suit, le FLH organise les premières danses gaies à Montréal. En juin 1972, le groupe déménage dans un plus grand espace, coin Ste-Catherine et Sanguinet. Malheureusement, alors qu’ils pendent la crémaillère, la police fait une descente et quarante personnes sont conduites au poste central – on avait omis de se procurer un permis d’alcool pour l’occasion. Dans l’atmosphère répressive de l’époque, ces arrestations suffisent à étouffer le groupe et pendant deux ans il n’y aura aucune organisation gaie francophone à Montréal.

Malgré cela, une nouvelle ère commence, ainsi qu’en témoigne l’apparition de plusieurs tabloïdes « sexy » tels Omnibus et Ozomo et la publication des premiers livres pro-gais comme les ouvrages de l’activiste Jean Le Derff qui paraissent en 1973 et 1974. Quant à Mainmise, elle continue d’inclure dans ses pages plusieurs articles à contenu gai et même une traduction de la bande dessinée érotique « Harold Hedd » produite à Vancouver.




Tableau 13
Répression et droits civiques, 1977

Il a déjà ordonné un « nettoyage » avant l'Expo 67 et, en 1975, on applique pour la première fois la « loi sur les maisons de débauche » à un sauna gai, lors de la descente à l'Aquarius.

Malgré l'adoption de la loi Omnibus et malgré l'épanouissement du mouvement de libération gaie, Montréal n'échappe pas à la vague anti-gaie qui déferle à travers l'Amérique à la fin des années 1970. La situation à Montréal est néanmoins différente de celle des États-Unis et du Canada anglais, puisque la « nouvelle droite » n'y est pas présente. Ici ce sont les pouvoirs municipaux qui tentent de brimer les nouvelles libertés et c'est contre eux que les gais se mobilisent. Le maire de Montréal, Jean Drapeau, fait des homosexuels ses boucs émissaires et se pose ainsi en farouche défenseur des bonnes moeurs.

Cela devient chez lui une obsession que de vouloir « assainir » la ville avant la tenue d'événements internationaux. Il a déjà ordonné un « nettoyage » avant l'Expo 67 et, en 1975, on applique pour la première fois la « loi sur les maisons de débauche » à un sauna gai, lors de la descente à l'Aquarius. La venue des Olympiques en 1976 est un nouveau prétexte pour justifier une série d'arrestations et de descentes à la mitraillette dans les bars des gais et des lesbiennes.

Cependant les choses ont changé depuis 1967 et la réaction est rapide. La communauté met sur pied le « Comité homosexuel anti-répression / Gay Committee Against Repression » qui organise la première manifestation gaie en juin 1976 et devient plus tard « l‘Association pour les droits des gai(e)s du Québec » (ADGQ). Quand on se sert de la « loi sur les maisons de débauche » pour la première fois contre un bar lors de la descente au Truxx en 1977, la manifestation monstre qui s'ensuit amène le gouvernement du Parti québécois à amender la "Charte des droits de la personne". Le Québec devance le reste de l'Amérique du nord en protégeant ses citoyens contre la discrimination basée sur l'orientation sexuelle. Quoique l'administration Drapeau continue à utiliser la « loi sur les maisons de débauche » à l'encontre d'établissements gais, notamment au Sauna David en 1980 et au bar Bud's en 1984, la place occupée par la communauté gaie en politique municipale a radicalement changé. Raymond Blain, premier échevin de Montréal ouvertement gai est élu en 1986 et garde ce poste jusqu'à son décès en mai 1992.




Tableau 14
Les lesbiennes s'organisent, 1970 à 1980

L'histoire lesbienne est parfois plus difficile à reconstituer que celle des gais. C'est sans doute parce que la sexualité et la vie sociale des lesbiennes s'expriment plutôt dans des cadres intimes et sont donc moins fréquemment sujettes à la répression policière.

Une exception notoire est le bar les Ponts de Paris sur la rue St-André, qui a longtemps été un centre de la vie lesbienne ouvrière. On le voit ici dans une photo de 1974 mais il existait depuis les années 1950. La montée du féminisme dans les années 1960 et 1970 amène une nouvelle façon de penser chez les lesbiennes et donc de nouveaux genres de bars comme le Madame Arthur, rue Bishop, où la clientèle est exclusivement féminine après 1972. Ce bar a été le sujet d'un roman de Marie-Claire Blais, illustré par Mary Meigs.

Pour celles qui désirent échapper au commercialisme des bars, les danses entre femmes sont des événements communautaires très populaires.

La première organisation lesbienne distincte des groupes féministes est fondée en 1973 par des femmes qui ont quitté le groupe de libération gaie de l'Université McGill : c'est le « Montreal Gay Women ». Certains membres de ce groupe participent à la publication de Long Time Coming, une des revues lesbiennes les plus en vue au Canada entre 1973 et 1976. Les lesbiennes francophones sont parfois actives dans ces groupes, notamment lors de la tenue de congrès de lesbiennes en 1974 et 1975. La « Coop femmes », le premier groupe francophone de lesbiennes, est établi en 1976. Les premières publications lesbiennes en français sont Amazones d'hier, Lesbiennes d'aujourd'hui et Ça s'attrape, lancées en 1982.




Tableau 15
Le sexe, la mort et l'espoir – Les 25 ans du VIH/SIDA

Depuis l'été 1981 les québécois, comme tous les humains, vivent avec la menace du sida. Ce qu'on appellera le Syndrome d'immunodéficience acquise fait son apparition sur la scène publique lorsqu'en juillet 1981 un article du New York Times annonce que plusieurs jeunes homosexuels new-yorkais souffre d'un type de cancer rare.

Dès le début le sida est lié aux gais. Pourtant au début à Montréal c'est la communauté haïtienne qui est le plus durement touchée. Mais après quelques années la majorité des cas sont parmi la population appelée les « hommes qui ont des relations sexuelles avec d'autres hommes » (HRSH) – les gais et les bisexuels. Nous représentons six moments clés de l'histoire du sida dans la communauté gaie montréalaise depuis vingt-cinq ans.

1. Nous commémorons dans un premier temps les lourdes pertes en vies humaines subies par les gais, les amis et les parents, par toutes les personnes touchées par cette crise sans précédente.
2. En 1981 la parution du sida ouvre une période de panique et de confusion, suivi des premiers éléments d'une réponse communautaire avec l'invention du sexe sécuritaire (« safer sex »), des levées de fonds et des mesures ad hoc pour soigner les amis malades.
3. Cette improvisation s'étend rapidement après 1983 à la mise en place des premiers groupes de prévention et de soins comme le CSAM (le Comité Sida-aide de Montréal) et les gouvernements commencent à répondre aussi. C'est dans cette période que les gais font cause commune avec les haïtiens, les femmes et les autres groupes affectés et les professionnels de la santé. À partir de 1985-86, fort de la découverte du rétrovirus responsable, les chercheurs créent les premiers tests de dépistage et le premier médicament qui peut ralentir le progrès de l'infection.
4. La tenue du Ve congrès international sur le sida à Montréal en 1989 voit l'émergence au Québec d'un nouveau militantisme à l'instar des activistes de New York. Act-Up Montréal manifeste à l'ouverture du congrès et dénonce le manque de financement pour le traitement et pour la prévention par les gouvernements québécois et canadien. C'est aussi la période de reconnaissance de la diversité et le Québec produit des campagnes de prévention remarquables pour l'emploi d'un langage visuel et verbal adapté aux différentes populations comme les toxicomanes, les autochtones et les minorités ethniques et raciales aussi bien que des segments de la communauté gaie.
5. Les nouveaux traitements mis de l'avant en 1995-96 changent dramatiquement le tableau pour les gens infectés. Malgré un régime extrêmement difficile (les nombreuses pilules nombreux ont pour beaucoup de gens des effets secondaires très indésirables), l'on commence à reprendre vie après une longue descente, de retourner au travail, aux amis et à la famille. Le Québec maintient ses programmes de prévention spécifiques.
6. Malgré tout, depuis quelques années à Montréal comme ailleurs, le taux de contagion chez les jeunes hommes grimpe de nouveau.

On blâme la fatigue du sida, l'insouciance des gens qui n'ont pas vraiment vu de gens malades. Aujourd'hui la crise n'est pas terminée. À travers le monde, des millions de personnes atteintes attendent toujours les nouveaux traitements. Chez nous le plus grand danger est de penser que tout est réglé et de relâcher les précautions. On n'est pas encore sorti du bois !




Tableau 16
Un quartier pour qui? L’essor du village gai

Le Village continuera-t-il son développement fulgurant comme « centre-ville gai » du Québec? Disparaîtra-t-il quand ses habitants s’intégreront pleinement à la société québécoise? Ou bien la communauté gaie se déplacera-t-elle ailleurs dans la métropole comme d’autres communautés l’ont déjà fait?.

En 20 ans, le «Village gai » est devenu la réussite la plus visible de la puissance commerciale et démographique de la communauté gaie montréalaise. Situé grosso modo à l’intérieur du quadrilatère formé par les rues Amherst, Ontario, Papineau et par le boulevard René-Lévesque au sud, l’ancien « Faubourg à Mélasse » s’est peu à peu transformé en quartier gai suite à l’installation rue Sainte-Catherine en 1982 et 1983 de plusieurs bars pour hommes, dont MAX. D’autres croient plutôt que la véritable naissance du Village remonterait aussi loin qu’en 1974, lors de l’installation boulevard de Maisonneuve Est du sex-shop Priape. Jusque-là, et au moins depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les lieux de rencontres et de socialisation gais étaient principalement dans le centre-ville autour de l’axe des rues Peel et Sainte-Catherine. Pour expliquer ce mouvement migratoire vers l’est de la ville, deux thèses s’affrontent.. Pour certains, la venue des Jeux olympiques en 1976 aurait servi de prétexte aux autorités municipales pour « nettoyer » le centre-ville; pour d’autres, cette migration traduisait le déclin économique et culturel relatif de l’ouest anglophone face à l’est francophone. Bien sûr, d’autres explications sont aussi avancées. Le déménagement de la Société RadioCanada dans son immeuble actuel ainsi que l’émergence du campus de l’UQÀM y ont attiré de nombreux artistes, étudiants, enseignants et artisans. Alors à l’étroit dans l’ouest, les commerçants trouvent des loyers peu coûteux dans ce quartier défavorisé, mais situé près d’un nouveau pôle de développement. Quant aux lesbiennes, elles et leurs bars se sont installés dans le secteur plus tardivement, surtout après le début des années 1990. Auparavant, elles fréquentaient surtout des établissements de la rue Saint-Denis et du quartier du Plateau Mont-Royal. L’embourgeoisement du Plateau a probablement accentué ce mouvement vers le sud de la ville. Les lesbiennes restent cependant encore très peu visibles dans le Village.

Le Village compte aujourd’hui quelque 75 commerces s’identifiant à la communauté gaie : bars, restaurants, boutiques, hôtels, mais aussi des entreprises de services professionnels, techniques ou esthétiques. Dans un sondage publié dans le numéro de janvier 1998, la revue Fugues rapportait que 13,4 % de ses lecteurs vivaient dans le Village, contre 16,6 % qui habitaient le Plateau Mont-Royal, 10,1 % qui résidaient dans l’ouest de la ville, et 9,4 % dans les banlieues de la ceinture métropolitaine. D’autres études démontrent que le principal groupe démographique du Village n’est pas celui des personnes homosexuelles, mais plutôt celui des personnes âgées (bien sûr, on peut faire partie des deux groupes en même temps). Dans ce contexte, on peut se poser la question suivante : le Village est-il un quartier où vivent les personnes gaies, ou surtout un district commercial, un lieu de loisirs et de rassemblements, un peu comme l’est le quartier chinois? Avec le changement constant du visage de Montréal et l’acceptation grandissante de la société québécoise à l’égard des gais et lesbiennes, il y a plusieurs hypothèses qui s’offrent quant à l’avenir du Village. Notons-en trois au passage. Le Village continuera-t-il son développement fulgurant comme « centre-ville gai » du Québec? Disparaîtra-t-il quand ses habitants s’intégreront pleinement à la société québécoise? Ou bien la communauté gaie se déplacera-t-elle ailleurs dans la métropole comme d’autres communautés l’ont déjà fait?




Tableau 17
Que sont les lesbiennes devenues? 1980 à 2006

Ce qui est éloquent dans l’histoire des femmes homosexuelles du Québec, c’est qu’elles restent encore aujourd’hui bien cachées. Leur invisibilité dans la société québécoise, et cela à tous les niveaux (politique, économique, culturel, etc.), est flagrante.

En effet, il est rare chez nous que l’on puisse voir des femmes lesbiennes de notoriété publique affichent ouvertement leur orientation sexuelle et encore plus rare que l’une d’elles se fasse la porte-parole d’un organisme gai et cela malgré une évolution sociale favorable et un contexte politique visant à l’égalité juridique. Cependant, depuis le début des années 80 beaucoup de femmes ont su s’organiser et former des associations afin d’affirmer leur différence et de sortir enfin sortir du placard! Pourtant, force est de constater que les organismes, associations et groupes d’aide qui s’adressent spécifiquement aux lesbiennes, sont beaucoup moins nombreux que ceux qui desservent les hommes gais, et lorsqu’ils existent, c’est de peine et de misère qu’ils vivotent.

Autre fait significatif, les lesbiennes adhèrent au mouvement féministe, car leurs revendications vont dans le même sens que celles de ce mouvement. C’est sans doute pourquoi on les voit s’impliquer et participer aux grands rassemblements féministes comme la Marche des femmes ou aux événements officiels comme la journée internationale des femmes.

Cela s’explique peut-être par le fait que le cadre de vie, le vécu et les besoins des femmes lesbiennes sont complètement différents de ceux des hommes gais.

Afin de palier à ce manque de visibilité, des campagnes de sensibilisation sont réalisées pour encourager les lesbiennes à sortir de l’ombre et affirmer leur différence.

PARMI LES ÉVÉNEMENTS MARQUANTS DE LA DERNIÈRE DÉCENNIE, SOULIGNONS CEUX-CI :

1999 : Adoption par l'Assemblée nationale du Québec de la Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant les conjoints de fait, Loi 32, reconnaissant une égalité de droits entre les conjoints de fait homosexuels et les conjoints de fait hétérosexuels.
2000 : Adoption par la Chambre des communes du Canada de la Loi visant à moderniser le régime d'avantages et d'obligations dans les Lois du Canada, Loi C-23, reconnaissant une égalité de droits entre les conjoints de fait homosexuels et les conjoints de fait hétérosexuels.
2002 : Adoption par l'Assemblée nationale du Québec de la Loi instituant l'union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, Loi 84, donnant accès aux couples de même sexe à une institution équivalente à celle du mariage et leur reconnaissant le droit à la parentalité.
Soulignons que cette loi est directement reliée aux pressions politiques répétées des femmes homosexuelles.
2004 : Adoption par l'Assemblée nationale du Québec de la Loi modifiant le Code civil relativement au mariage, Projet de loi n°59, donnant accès aux couples de même sexe au mariage civil.
2005 : la Chambre des Communes du Canada a adopté le projet de loi C-38 qui autorise le mariage civil entre conjoints ou conjointes de même sexe. La Fondation Émergence s’est impliquée dans ce combat.
2006 : Retour à la case départ? Le gouvernement conservateur de Stephen Harper relance le débat sur le droit des homosexuels au mariage et annonce une éventuelle motion contre le mariage civil entre conjoints ou conjointes de même sexe

QUELQUES REGROUPEMENTS S’ADRESSANT UNIQUEMENT AUX FEMMES HOMOSEXUELLES DANS LA RÉGION MÉTROPOLITAINE DE MONTRÉAL :

Associations (les dates de fondation sont entre parenthèses) Réseau Vidé-Elle (1975) réalisation et diffusion de vidéos sur l’histoire sociale et culturelle des femmes et des lesbiennes, Groupe d’intervention en violence conjugale chez les lesbiennes (1995), Réseau des lesbiennes du Québec (1996), Association des mères lesbiennes (1998)
Regroupements d’activités sociales et culturelles
Femlib (1991) – activités sociales, Amazones des grands espaces (1993) – plein air , Cultur-elles ( 2005?) – activités sociales, Longue-vue (200?) – cinéma, Sappho-GRIS (c. 2004) – Démystification du lesbianisme dans les écoles
Revues
Treize a publié 58 numéros entre 1984 et l’automne 2000, après une éclipse de cinq ans son 59e numéro paraît en mars 2005.
Entre Elles depuis 1er avril 2002
Radio communautaire
Funky gouine (19??-199?), La Ballade des Furies (199?-2005), Lesbo-Sons (2006)
Groupes pour femmes
Fédération des femmes du Québec (FFQ)